Expériences - Ils vinifient des blancs en amphores

Il y a 1 année 943

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Qu’ils utilisent l’amphore depuis quelques millésimes ou depuis presque vingt ans, trois vignerons témoignent de leurs pratiques de vinification et/ou d’élevage. Ils donnent quelques conseils sur les points clés.

Laurent Cambres est vigneron indépendant à Saint-Cyprien, en Roussillon. Il cultive 23 ha de vignes et produit une cuvée vinifiée et élevée en amphore depuis quatre ans, la Blanc de grès, à partir de macabeu et de grenache blanc. « En tant que vigneron, je dois disposer d’une gamme diversifiée, qui puisse plaire à un public large, aussi bien en matière de goût qu’au niveau du prix. Et là, je voulais accentuer la fraîcheur et la minéralité, des points forts que j’avais repérés sur deux de mes parcelles », indique-t-il. Après s’être renseigné sur les amphores, il s’est lancé en 2018, avec un modèle de 300 litres acheté sur un marché en Italie.

La première vinification est un succès : le vin correspond au profil qu’il avait en tête. « Mais j’ai aussi vu de suite les inconvénients à l'usage, surtout pour l’hygiène. » C’est pourquoi, à l’achat de deux amphores de 9,5 hl chacune l’année suivante, il choisit un modèle avec un large goulot pour pouvoir accéder facilement à l’intérieur et il négocie avec le fabricant une bonde inférieure, pour un vidage intégral. Le nettoyage est effectué à l’eau froide et au nettoyeur à haute pression. Avec un séchage très complet, l’étape clé pour éviter les déviations. En 2020, il achète deux autres amphores, pour arriver à une capacité de 40 hl de vinification.

Très bonne inertie thermique

Aussitôt arrivés au chai, les raisins sont pressés, puis le jus est introduit dans les amphores et refroidi à l’aide de drapeaux. « Nous fermentons à très basse température, 10 °C, avec quelques aérations pour éviter les arrêts de fermentation », explique Laurent Cambres, qui apprécie l’inertie thermique des amphores. « Même si on est un peu pris par ailleurs et qu’on n’a pas le temps de remettre le circuit de refroidissement en route à l’heure exacte, la température ne remonte que très lentement. C’est une souplesse de travail appréciable. » En fin de fermentation alcoolique, après un sulfitage et un ouillage, le couvercle étanche est ajusté pour cinq mois d’élevage. Le vin sera ensuite bâtonné régulièrement à travers un trou de bonde dans le couvercle. Une opération sans trop de risques d’accident pour le contenant, selon Laurent Cambres : « On est presque pas en contact avec l’amphore, qui fait tout de même 4 cm d’épaisseur. »

Commercialement, « c’est une cuvée que je mets en valeur sur les Salons et que j’ai présentée à mon réseau de professionnels cavistes, grossistes et restaurateurs », explique le vigneron, qui vend un peu plus de 5 000 bouteilles de Blanc de grès chaque année. Tous les publics n’ont pourtant pas la même réaction positive : « Cela m’est arrivé de devoir argumenter, que ce n’est pas juste pour la photo. » La cuvée est positionnée dans le milieu de gamme des blancs du domaine à 11,80 TTC prix public. « Sauf accident, l’amphore va durer une vie, à la différence des fûts qu’il faut renouveler. Le calcul économique m’amène à ce niveau de prix », précise Laurent Cambres, qui espère aussi susciter l’intérêt du consommateur pour qui ce serait « très bon et pas trop cher »

« Oxydatifs mais pas oxydés » au clos Canereccia

Retrouver dans le vin le raisin qu’il a mis dans l’amphore : c’est le but que s’est fixé Christian Estève, vigneron du Clos Canereccia (Corse), 9 ha de vignes, en bio depuis 2020. Alors qu’il grandit près d’Aleria, dans un lieu imprégné de culture romaine, il s’est toujours dit qu’il vinifierait en amphore dès qu’il le pourrait. L’occasion se présente en 2013 avec l’achat de deux amphores, par le biais de Facebook. « J’avais goûté et eu de grandes émotions avec ces vins et je voulais vraiment arriver à ce goût, très propre », indique ce vigneron pour qui « il ne faut pas faire des vins en amphore parce qu’ils amènent de l’image ou de la trésorerie, mais avant tout parce qu’on les aime ».

En blanc, sa cuvée 100 % vermentinu est issue d’une vinification en amphore de 200 litres, avec égrenage manuel, macération pelliculaire pendant trois à quatre semaine durant lesquelles un pigeage manuel est effectué deux fois par jour. Le vin est ensuite élevé cinq à six mois sur lies fines. La vinification s’effectue sans soufre ajouté, seulement 1 à 1,5 g/hl à la mise. « Nos vins sont légèrement oxydatifs, mais pas oxydés, insiste Christian Estève. Ce sont des vins très clivants. Je m’éloigne du cépage, avec des arômes d’orange amère, de noix… mais je retrouve le fruit initial. »

Quant au prix, la cuvée se situe à 23 euros prix professionnel, soit 40 à 50 euros prix consommateur chez les cavistes sur le continent. « Ce qui fait le prix d’un vin, c’est sa qualité », estime le vigneron, qui doit aussi tenir compte des facteurs de production : rendements très faibles, recherche de porosité, donc pertes importantes par consume, beaucoup de manutention« Chacune de mes cuves est un bébé, les amphores, ce sont de grands prématurés », résume-t-il pour souligner le soin apporté durant toute l’élaboration du vin, depuis l’intégrité de la vendange jusqu’à la surveillance très régulière pendant l’élevage.

L’amphore, une marque de fabrique pour Anne-Laure et Marc Royo

Au Domaine Émile et Rose (Hérault), 40 % des 130 000 à 140 000 bouteilles produites par an contiennent des vins élevés en amphore. « C’est devenu notre marque de fabrique, résume Marc Royo, vigneron avec sa femme, Anne-Laure. Nous produisons des cépages méditerranéens en bio depuis 2004 et, tout naturellement, nous en sommes venus à utiliser des amphores. Au fil du temps, nous avons vu que ces vins plaisaient et nous avons répondu à cet engouement. »

Tout a débuté dans les années 2000, avec un potier de Castelnaudary, haut lieu du travail de l’argile. Ensemble, vigneron et potier ont travaillé à réduire le taux de consume de 20 % à 4 %. Le domaine compte actuellement un parc de 40 amphores de 160 litres et six jarres de 300 litres. « C’est énormément de travail », indique Marc Royo, pour qui la gestion du parc d’amphores s’apparente à celui d’un parc de barriques : méchage au soufre, lavage à la vapeur à l’aide d’une canne Moog et, surtout, séchage parfait. « C’est l’étape à ne pas rater », prévient-il, sous peine de retrouver des goûts de terre dans les vins. Un petit outil maison a même été conçu pour retourner les amphores plus facilement, afin qu’elles sèchent totalement. « Cela nous est déjà arrivé de casser un goulot en nettoyant, malgré toutes nos précautions. »

Outre leur relative fragilité, les amphores mobilisent de la surface, car elles sont impossibles à superposer. Elles restent debout, sur des briques réfractaires, dans un chai climatisé. Tous les deux ans, il est nécessaire de leur offrir un bain d’acide tartrique dilué, afin d’ajuster leur pH. Sur le domaine héraultais, leur durée de vie ne dépasse pas sept ans, à cause du colmatage. Ce qui reste tout de même deux fois supérieur à un fût. Les vins sont introduits et soutirés avec une canne, comme pour les fûts.

« Le séchage des amphores, après nettoyage, est l'étape à ne pas rater », Marc Royo, Domaine Émile et Rose

« Avec l’amphore, je voulais accentuer la fraîcheur et la minéralité », Laurent Cambres, domaine de l’Arca.

Domaine Émile et Rose (Hérault) : marier l'amphore avec le bois ou l'Inox
Dans l'Hérault, le domaine Émile et Rose compte 25 ha avec encore de vieilles parcelles de cépages méditerranéens, comme le grenache blanc et le carignan blanc, avec lesquelles le vigneron Marc Royo produit une vingtaine de petites cuvées de 1 000 à 4 000 bouteilles. Pas de SO2 pendant la vinification, le moins possible pendant l’élevage pour respecter le cahier des charges bio, collage à la protéine de pois.
Pour la cuvée Voyage en terre géorgienne, les vins sont vinifiés en amphore et élevés pendant quinze mois, ce qui leur donne une couleur orange. « C’est très atypique, soit cela plaît énormément, soit le consommateur reste sur du plus classique, mais cela donne matière à échanger. » Comme les volumes manquaient, une autre cuvée Voyage est constituée par un assemblage de 20 % amphore-80 % cuve. Enfin, la cuvée de carignan blanc est composée de vins vinifiés en cuve Inox et élevés à 60 % en amphore et 40 % sous bois. « Un joli mariage qui donne une belle représentation de la Méditerranée », estime Marc Royo.
Le positionnement prix de ces cuvées est plutôt sur le haut de gamme pour le domaine, avec des prix publics compris entre 12 et 18 euros la bouteille.

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