Confronté aux effets du changement climatique, Laurent Maynadier, propriétaire du domaine du Champ des Sœurs, s’essaie à la culture de l’aloe vera en complément de la vigne.
En cinq ans, le vignoble du domaine du Champ des Sœurs, situé à Fitou dans l’Aude, a reculé de 6 hectares. Dans trois ans, il devrait encore diminuer de 2 ha. Pour l’instant, les vignes de l’exploitation de 25 ha s’étendent sur 12 ha aux bords de l’étang de Leucate, à deux pas de la mer Méditerranée. La baisse de ces surfaces se fait au profit de nouvelles cultures devant aider les propriétaires, Laurent et Marie Maynadier, à faire face à différents enjeux.
« Le secteur viticole vit une crise structurelle, avec dans le Languedoc, et dans certains autres bassins de production, des stocks de vins qui progressent. En parallèle, les marchés à l’export s’ouvrent et se ferment rapidement. Ils sont trop volatils », considère Laurent Maynadier. Entre 2017 et 2022, la part du chiffre d’affaires réalisé par le domaine à l’export s’est considérablement réduite, passant de quasiment 50 % à 30 %.
Des vendanges qui débutent désormais en juillet
Depuis plusieurs années, le domaine, qui produit entre 45 et 50 000 bouteilles par an, rencontre également des problèmes dans les vignes. Le viticulteur n’arrive pas à endiguer les dégâts occasionnés par les sangliers et les chevreuils sur certaines parcelles. D’autres part, il n’a pas la possibilité d’irriguer certaines vignes en goutte-à-goutte, alors qu’il observe les conséquences du changement climatique dans son vignoble. « Je suis la 13e génération de vignerons à cultiver ces parcelles. Mes grands-parents vendangeaient le muscat fin août, mes parents le 15 août, et nous début août. En 2016, nous avons vendangé pour la première fois en juillet. En 2019 aussi. Cette année, c’est donc la troisième fois que nous vendangeons en juillet », déplore-t-il. La pluviométrie a, elle aussi, diminué. En 2021, ils ont enregistré 200 mm d’eau, alors qu’habituellement ils mesurent entre 350 et 550 mm par an.
Une diversification économe en eau
Dans l’optique de s’adapter au changement climatique et de revoir sa stratégie commerciale, le domaine a ainsi envisagé de se diversifier en s’intéressant à de nouvelles cultures, tolérant moins d’eau. « Depuis trois ans, la chambre d’agriculture de l’Aude (CA11) et l’Agence de l’eau mènent des essais chez nous avec des plantes à parfum aromatiques et médicinales (thym, lavande, romarin, origan, sauge), de l’aloe vera et des figuiers de barbarie. Les cultures sont irriguées ou non irriguées, décrit-il. La plantation de lavande et de lavandin a été un échec. Il n’y a pas assez d’eau chez nous et l’amplitude thermique n’est pas suffisante la nuit. » Avec les deux plantes succulentes, les premiers résultats ont été beaucoup plus encourageants et ont motivé les propriétaires à planter 2 000 m² d’aloé véra en 2020. Les plants seront matures en 2023.
En raison de la sensibilité de l’aloe vera aux gelées, contre lesquelles le vignoble de Fitou n’est pas à l’abri (un jour à -4° C en 2022), le viticulteur réfléchit à de nouveaux modes de cultures, dont la mise en place d’une serre photovoltaïque. Hormis les risques liés aux grands froids et à l’excès d’eau, Laurent Maynadier voit plein d’avantages dans cette culture « Elle ne nécessite pas de produits phytosanitaires, se récolte à la main, se développe bien à Fitou. Le coût de production est de 4000 euros/ha et le chiffre d'affaires peut être estimé à 8000 euros/ha; ce qui laisse une marge intéressante. Par ailleurs, l'aloe vera ne rentre pas en concurrence avec de grosses productions, comme le thym ou le romarin, ce qui est important pour être économiquement viable. »
À ce jour, la France importe 99 % de l'aloe vera sous forme de poudre à réhydrater ou de palmes qui arrivent essentiellement d'Espagne. Le projet d'aloe vera "made in France" a attiré l’attention d’entreprises du secteur de la cosmétique, deux venant d’Occitanie et une d’Auvergne-Rhône-Alpes. L’intérêt pour le gel de cette plante est tel qu’une association régionale doit voir le jour prochainement, afin de mener des expérimentations (sur l’irrigation, la protection contre le gel…). Elle fédèrera des producteurs de l’Aude et des Pyrénées-Orientales, des techniciens (chambres d’agriculture 11 et 66, Interbio Occitanie) ainsi que les trois acteurs économiques qui auraient besoin de 30 hectares.
À moyen terme, Laurent Maynadier réfléchit même à disposer de son propre atelier de transformation pour valoriser au mieux sa production et, pourquoi pas, l’associer à du jus de raisin. « L’aloe vera se mange, mais son goût est assez neutre », justifie-t-il. En attendant, les expérimentations doivent se poursuivre encore plusieurs mois pour valider la qualité du gel produit.
Parallèlement à l’aloe vera, les viticulteurs ont également planté une centaine de figuiers de barbarie. « C’est une plante qui résiste très bien jusqu’à - 8° C. Tout s’utilise, mais je vois moins de valorisation comparativement à l’aloe vera. Nous travaillons dans un premier temps avec des restaurateurs pour trouver des marchés », indique-t-il.
Si la diversification prend de plus en plus de place dans l’activité du domaine, Laurent Maynadier ne compte pas pour autant arrêter la production de vin. Il souhaite même continuer à expérimenter dans les vignes (nouveaux modes de conduite, cépages…) et dans les chais, avec son épouse, qui est œnologue. Il y a bientôt une quinzaine d’années, il immergeait ainsi ses premières bouteilles de vin dans l’étang. Aujourd’hui, il perpétue cette expérience avec du vin blanc immergé à 5 m de profondeur dans un parc à huîtres. Il limite cependant la cuvée à 300 bouteilles. « La communication a été énorme sur ce sujet quand j’ai débuté. J’ai eu peur d’être enfermé dans cette pratique. Cela m’a toutefois permis de mieux comprendre les échanges gazeux et de voir qu’avec le liège, ils étaient aléatoires. J’ai donc changé le bouchage pour un bouchon synthétique et en même temps j’ai pu limiter le sulfite pendant l’élevage », raconte-t-il. Cette année, en plus des cuvées spéciales (sans intrants, sans sulfites, élevées en jarres…), ils vont également tester le vin orange.
De l’aloe vera en face de l’accueil
En matière de commercialisation, le domaine s’adapte aussi aux évolutions du marché. En cinq ans, si les ventes dans les circuits traditionnels sont restées stables (30 % du CA), celles à l’export ont baissé au bénéfice de la vente au caveau, qui a progressé de 15 % à 40 % du CA. Cette année, les producteurs vont ainsi investir 110 000 euros dans la rénovation de leur lieu d’accueil, où ils vendent leurs bouteilles entre 10 et 40 euros l’unité.
Les acheteurs qui se déplacent jusqu’à Fitou sont des clients fidèles, des personnes qui ont découvert le domaine dans des magazines sur le vin, grâce à des concours… D’autres viennent d’abord pour découvrir la culture de la plante. « Juste en face de l’accueil, ils peuvent voir les essais menés sur l’aloe vera et les autres essences », mentionne-t-il.
Professionnels et particuliers sont informés régulièrement des actualités et projets du domaine. Laurent Maynadier rédige une newsletter distribuée à 5 000 personnes. En 2020, dans l’une d’entre elles, il faisait appel à ses lecteurs pour financer la plantation des 2 000 premiers aloe vera. Grâce à Blue Bees, une plateforme de financement participatif dédiée aux projets de transition écologique, ils ont réussi à collecter 3 711 euros de dons, qui sont venus compléter leur apport initial. Parmi les 41 contributeurs, certains ont reçu en contrepartie plusieurs vins du domaine à déguster.